Lauréate et finalistes 2020

Aglaé Bory - Odyssées

Odyssées  est un travail photographique sur l’exil réalisé dans la ville du Havre. L'Odyssée d'Homère raconte l'histoire d'un retour qui n'en finit pas. Le retour d'Ulysse à Ithaque après vingt longues années d'absence. Ce travail est un écho à ce récit de voyage originel. Aglaé Bory a suivi plusieurs personnes en situation d’exil, demandeurs d’asile ou réfugiés, le plus souvent en attente de statut. La plupart d’entre eux vivent dans des centres d’hébergement en attendant la réponse de l’administration. L’attente est souvent longue et douloureuse. Elle les isole du réel et les enferme dans un espace mental en suspens. A travers cette succession de portraits et de paysages, la photographe voulu créer une correspondance entre leur intériorité et les paysages dans lesquels ces personnes évoluent afin de rendre perceptible ce sentiment d’exil. Elle les a photographiés dans leurs lieux de vie, dans leur territoire quotidien bien que précaire et temporaire. Leurs regards se perdent à travers les fenêtres. Ils sont dans le flou. Ils s’en remettent souvent au ciel, dont l’azur semble pourtant les ignorer. 
 
La mer est le refuge de leur intériorité, de leurs espoirs et leurs promesses. Elle est la réalité physique de la distance parcourue souvent ils l’ont traversée pour arriver jusqu’ici et de l’éloignement. Tous souffrent de déracinement et d’inquiétude quant à leur avenir. Lorsqu’ils ont acquis un statut de réfugié, la rupture avec leur pays d’origine est une obligation, le retour y est impossible. Quand ce statut leur est refusé, le retour devient une obligation, ils doivent quitter le territoire français. Ce retour devient alors le symbole de leur échec quand il ne constitue pas un danger pour leur vie. Le retour est ainsi tout à la fois rêvé et craint. 

 

“ Sans un foyer au centre du réel, on ne sait pas où se réfugier, on est perdus dans le non-être et dans l’irréalité“ 

John Berger, l'Exil, 1985 

 

Ce sont des histoires de retours impossibles ou impensables, d’attentes interminables après des parcours migratoires éprouvants et dangereux, d’espoirs de vies meilleures, loin des guerres et des persécutions. Mais que deviendront Mohammed, Ibrahim, Goar, Abdelrazik, Hiba ? Ces derniers attendent tous leur convocation à la Cour Nationale du Droit d’Asile après un refus de l’Ofpra à leur demande d’asile. Notre pays, à l’instar de l’Europe toute entière, traverse une grave crise de l’accueil des personnes migrantes et se retranche derrière ses frontières. L’attente interminable que vivent ces exilés n’est que l’expression de l’hésitation de notre société à les accueillir véritablement. 

 

Biographie d'Aglaé Bory 

 

Née en 1978, Aglaé Bory est une photographe française vivant à Bagnolet. Diplômée de l'École Nationale de Photographie d'Arles, elle développe depuis vingt ans un travail centré sur l'humain, mêlant documentaire et fiction. Lauréate de plusieurs prix, dont la Bourse du Talent et le KL Photo Award, son projet Corrélations a intégré la collection de la Bibliothèque Nationale de France en 2009. Son travail a été présenté dans de nombreux festivals et expositions en France et à l'étranger. En 2021, elle reçoit le Prix Balzac pour Les Invisibles, une série sur l'exil, et participe à la Grande Commande Nationale de la BNF avec L'Art en jeu, un documentaire sur les pratiques artistiques de la jeunesse.

 

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Julie Joubert - Mido

Julie Joubert a rencontré Ahmed en 2017 dans un centre de réinsertion pour jeunes en difficulté. Via les réseaux sociaux, ils se sont retrouvés deux ans plus tard. Diminutif, surnom, pseudonyme: MIDO est un moyen de brouiller les pistes de sa trajectoire incertaine. Se présentant sous différentes identités au fil de ses rencontres, Ahmed se cache autant qu’il a l’envie d’être découvert. A travers un parcours de vie chaotique ponctué d’éléments douloureux, il survit avec le rêve de devenir modèle. Touchée par sa grande fragilité, son caractère autodestructeur ainsi que sa capacité à se dévoiler, Julie Joubert décide alors de le suivre dans son quotidien dans le quartier de Marx Dormoy à Paris. 

 

Menacé d’expulsion puis incarcéré, le projet continue sous de nouvelles formes d’écritures. En effet, malgré son absence, Ahmed et Julie Joubert sont restés en contact. Des photographies à la volée qu’elle a prises au parloir du Centre de Rétention Administrative aux images qu’Ahmed a pu lui envoyer de sa cellule en prison, l’image pixellisée des vieux téléphones portables s’est imposée comme le moyen de restituer ce contexte. La fragilité de l’image basse définition coïncide alors avec la perte progressive de liberté.

 

L’utilisation de ces différents moyens de captation (numérique, jetable, images prises au téléphone portable) répondent à une cohérence esthétique nécessaire face au sujet. D’une réalité fantasmée à l’enfermement bien réel, de la fiction picturale à l’abstraction du pixel, les différentes qualités d’image accompagnent chacun des aspects de la vie d’Ahmed. Comme un miroir fragmenté, ces photographies dressent le portrait de ce jeune en devenir, se cherchant encore et toujours dans d’une société où il peine à trouver sa place.

 

 

Biographie de Julie Joubert 

 

Julie Joubert, diplômée de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris, explore le portrait à la croisée de la photographie plasticienne et documentaire. Elle aborde des questions liées à l’identité, la jeunesse et les représentations du masculin à travers des images épurées, mettant en lumière la fragilité humaine. Lauréate de nombreux prix, dont le Lensculture Portrait Awards (2023) pour son projet MIDO, elle a publié son premier livre en 2021 chez KAHL Éditions et exposé en France, en Europe, ainsi qu'à New York.

 

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Pierre Faure - France Périphérique

 Le jury a décidé de décerner en 2020 une mention d'honneur à Pierre FAURE pour la qualité de son travail autour de la " France Périphérique ".

 

Économiste de formation, Pierre Faure documente depuis 2015 la montée de la pauvreté en France. Le titre « France Périphérique » est emprunté à l’ouvrage éponyme du géographe Christophe Guilluy qui aborde les problématiques politiques, sociales et culturelles de la France contemporaine par le prisme du territoire. Il s'intéresse à l'émergence d'une « France périphérique » qui s'étend des marges périurbaines les plus fragiles des grandes villes jusqu'aux espaces ruraux en passant par les petites villes et villes moyennes. Il souligne que désormais 60 % de la population — et les trois quarts des nouvelles classes populaires — vivent dans cette « France périphérique », à l'écart des villes mondialisées.

 

La France compte 8,8 millions de pauvres (INSEE, 2016). 2,3 millions de personnes vivent avec au mieux 672 euros par mois (pour une personne seule). Comble pour l’un des premiers producteurs agricoles mondiaux, pour manger, près de deux millions de personnes auraient eu recours à l’aide alimentaire en 2015 (Observatoire des inégalités).

 

Pierre Faure s’intéresse aux évolutions qui modifient la société française en profondeur, sur le long terme. La pauvreté a baissé à partir des années 1970 jusqu’au milieu des années 1990. Elle est ensuite restée plutôt stable jusqu’au début des années 2000, puis elle a augmenté. Depuis 2004, le nombre de personnes pauvres a progressé de 1,2 million (+ 30 %). Ce mouvement de hausse constitue un tournant dans l’histoire sociale de notre pays. La dégradation économique enregistrée depuis 2008 pèse tout particulièrement sur les moins favorisés (source : L’Observatoire des inégalités). L’objectif est de constituer un témoignage photographique de la hausse structurelle de la pauvreté dans l’hexagone.

 

Biographie de Pierre Faure

 

 

Pierre Faure est né à Nice et travaille sur l’ensemble du territoire français. Il a étudié les sciences économiques. En 2010 il décide de se consacrer entièrement à la photographie. Membre du Studio Hans Lucas depuis 2013.

 

Il produit d’abord un travail dans lequel l’abstraction et les évocations organiques occupent une place centrale (séries « rhizomes », « plis » et « palimpsestes ») ; des séries qui interrogent le regard du spectateur et jouent avec les notions d’échelle et de perspective. Il aborde ensuite la question sociale en réalisant un travail d’immersion au sein d’une communauté tzigane d’Île-de-France (2011-2012).

 

En 2013 et 2014 Pierre Faure s’intéresse à la vie de personnes en grande précarité accueillies en centre d’hébergement d’urgence et tente de saisir dans ce quotidien les figures d’une humanité blessée (« Les Gisants », 2013, « Le Bateau », 2014). En parallèle à ces travaux il poursuit depuis 2010 une série sur les arbres urbains, interrogeant la place du végétal en milieu urbain. Depuis 2015 il documente la montée de la pauvreté en France, en parcourant l’ensemble du pays, il y consacre environ deux cent jours pas an. Pierre Faure répond à des commandes corporate, essentiellement dans le domaine social (Fondation Abbé Pierre, Emmaüs, CASP,…).

 

 

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